Échevelé, les traits tirés et le visage marqué par des cernes, Eusebio descend de sa chambre dans la salle commune, son vieux tricorne élimé à la main encore tout couvert de la poussière du fort en ruines. Car il disposait à nouveau d’une chambre depuis le départ d'Elysar et la disparition tragique de Drev Sekza la veille.
Cela fait déjà près d’une heure qu’il s’est levé, avant même les premières lueurs du jour. C'était l'heure de son rituel quotidien, pierre angulaire de chacune de ses journées : rapides ablutions… puis trois cartes de tarot tirées, comme pour capter la brise du destin sur son visage en guise de dévotions à Desna… Enfin la préparation de ses sortilèges… Car si un bretteur doit s’exercer en permanence pour maintenir ses réflexes aussi affutés que sa lame, un thaumaturge est soumis à une astreinte encore plus exigeante. Un pouvoir magique ne peut être libéré que si ce dernier a été consciencieusement préparé, minutieusement assemblé.
Il répète ainsi des exercices -milliers de fois exécutés- enseignés par le vieil Auguste (l’homme lui manquait particulièrement ces derniers jours) pour exercer son esprit, mais aussi son corps : postures, gestes, signes des mains. Pour achever son rituel matinal, il exerce son discours en répétant de manière rapide et intelligible des litanies en Miroë, la langue hermétique qu’il utilise.
Tous ces petits exercices le mettent dans les mêmes dispositions que lorsqu'il cuisine : reposé, concentré, propice aux réflexions.
Et c’est bien une décision qu’Eusebio a prise ce matin là tandis qu’il descend préparer le petit-déjeuner.